LES RENCONTRES DU CONTADOR
13.3.09
Sous le prétexte malin de proposer une course, Paris-Nice cache en réalité un rite invisible au grand public, une odyssée de pure mythologie cycliste. Tout juste réveillés de leur torpeur hivernale, les coureurs, bien qu’encore un peu gras, ont pour mandat de ramener le soleil sur le monde. Le premier dimanche, ils partent sous un temps de chien et tous phares allumés, en équilibre précaire sur des routes de campagnes bordées de fervents qui éclaboussent plus qu’ils n’applaudissent ; six jours de suite, ils affrontent mille périls, bordures, vent de face, de côté, tout ce que la météo comporte de coups fourrés. Néanmoins, ils s’en sortent. Le dimanche suivant, les voilà plongeant sur la Côte-d’Azur. L’hiver se traîne en queue de peloton, insulté par des filles en mini-jupes. La course s’achève. On peut ouvrir les fenêtres. C’est le printemps.
Si je n’ai pas profité de ce début de semaine trépidant pour alimenter la cyclosphère de mes commentaires intempestifs, c’est que j’en étais –ami lecteur- parfaitement incapable. Non pas qu’à l’instar du malheureux Rémi Pauriol, je n’aie su éviter la chute d’un plus lourd que moi, mais parce que j’ai choisi de quitter le monde civilisé des connexions sans fil pour celui des bergers de Lure, montagne sœur du Mont Ventoux où arrive ce vendredi l’étape-reine.
Sentant l’endroit propice au recul, j’ai loué une fermette à son paysan, lequel a cru pouvoir m’arnaquer en me mythonant qu’elle avait appartenu à l’écrivain Jean Giono. Une fois mis ce facheux à la porte, je l’ai aussitôt ouverte à quelques compagnons d’infortune égarés dans la vallée : un détenu en cavale, deux cyclotouristes sans cartes et trois fugueuses de quinze ans. Heureux de nous trouver si bien ensemble, nous nous sommes mis à chanter, ne cessant que pour nous nourrir de miches de pain autoproduites. Nous passons depuis dimanche les heures du jour comme de la nuit à défaire puis refaire le monde. Les discussions sont passionnées au point qu’on en vient souvent aux mains, puis aux pieds. Avant-hier par exemple, on faisait le rêve commun d’un Tour de France sans oreillettes, où le nez, royal et épanoui, redeviendrait l’organe majeur du coureur, son instinct sa seule pensée. Le nez qui hume dans la tramontane en biais l’arrivée au sprint qui se prépare. Dans cette ivresse , l’actualité n’a cessé de nous tourner la tête en nous abreuvant d’utopies. Un Président Noir ? Peut-être. Mais, mieux encore, un Français vainqueur de Paris-Nice ? Certainement.
Sylvain Chavanel s’est fendu, mardi dernier, d’un coup de force magistral, en profitant d’un vent malicieux pour dévaliser par surprise les coffres de la société Astana au terme d’une inspiration à la Spaggiari, sans haine ni armes ni violence, et ceci malgré la présence embarrassante de deux employés de la Rabobank !
L’exploit est réel mais son analyse, sujette à discussion, a scindé notre club en deux groupes de réflexion. D’un côté, ceux qui affirment que le néo-Quick Step est en mesure de conserver son avance et de gagner ce Paris-Nice ; de l’autre, moi.
Comme ce débat fut animé ! Les mots d’oiseaux volaient et on me traita même de fasciste lorsque j’accusais Colom et Sanchez de ne pas y aller assez franco.
Mais un peu de géopolitique, voulez-vous ? Que dit l’expert ? Il avance que Chavanel, aussi valeureux soit-il, a perdu Paris-Nice au mois de septembre, quand Lance Armstrong, annonçant son retour, a contraint Contador à ne laisser planer aucun doute quant à son leadership.
Aussi peut-on voir s’esquisser un début de solution à l’énigme qui prive le peloton de sommeil depuis bientôt six mois, quant à celui du jeune ou du vieux qui s'habillera en jaune sur les Champs-Elysées. Le jeune Albert, plus fort d'année en année et quasi irrésistible, gagnera toutes les épreuves à étapes auxquelles il prendra part d’ici juin. En juillet, Lance, dans le top ten mais trop court pour jouer la gagne, se sacrifiera en lui ouvrant la montée du Ventoux au cours d’un numéro d’anthologie, heure de gloire du vidéaste occasionnel pour peu qu’il sache s’écarter à temps.
La vérité ayant été formulée et mon sandwich au fromage de brebis terminé, tandis que mes compagnons dorment et que le soleil se lève à peine, je quitte la ferme et pars ventouser ma place au sommet de la Montagne de Lure.
Pour mériter de respirer enfin l’air alcoolisé et bleu qui constitue leur véritable came, les coureurs devront d’abord déguster, sans trop recracher, les 7% de la pente bordée de mélèzes, puis d’empilements de pierres, puis de rien du tout, sinon, par chance, quelques vautours fauves assis autour du cadavre d’un lézard.
La délivrance ne sera plus très loin, croira-t-on.
Mais gare !
Samedi, Bourigaille et Côte de Mons.
Dimanche, final au Col d’Èze puis redescente en kakous sur Nice et sa promenade, sous l’indifférence de femmes enraybannées par les premiers beaux jours et les aboiements réflexes de chihuahuas en pull.
Pascal d’Huez
Si je n’ai pas profité de ce début de semaine trépidant pour alimenter la cyclosphère de mes commentaires intempestifs, c’est que j’en étais –ami lecteur- parfaitement incapable. Non pas qu’à l’instar du malheureux Rémi Pauriol, je n’aie su éviter la chute d’un plus lourd que moi, mais parce que j’ai choisi de quitter le monde civilisé des connexions sans fil pour celui des bergers de Lure, montagne sœur du Mont Ventoux où arrive ce vendredi l’étape-reine.
Sentant l’endroit propice au recul, j’ai loué une fermette à son paysan, lequel a cru pouvoir m’arnaquer en me mythonant qu’elle avait appartenu à l’écrivain Jean Giono. Une fois mis ce facheux à la porte, je l’ai aussitôt ouverte à quelques compagnons d’infortune égarés dans la vallée : un détenu en cavale, deux cyclotouristes sans cartes et trois fugueuses de quinze ans. Heureux de nous trouver si bien ensemble, nous nous sommes mis à chanter, ne cessant que pour nous nourrir de miches de pain autoproduites. Nous passons depuis dimanche les heures du jour comme de la nuit à défaire puis refaire le monde. Les discussions sont passionnées au point qu’on en vient souvent aux mains, puis aux pieds. Avant-hier par exemple, on faisait le rêve commun d’un Tour de France sans oreillettes, où le nez, royal et épanoui, redeviendrait l’organe majeur du coureur, son instinct sa seule pensée. Le nez qui hume dans la tramontane en biais l’arrivée au sprint qui se prépare. Dans cette ivresse , l’actualité n’a cessé de nous tourner la tête en nous abreuvant d’utopies. Un Président Noir ? Peut-être. Mais, mieux encore, un Français vainqueur de Paris-Nice ? Certainement.
Sylvain Chavanel s’est fendu, mardi dernier, d’un coup de force magistral, en profitant d’un vent malicieux pour dévaliser par surprise les coffres de la société Astana au terme d’une inspiration à la Spaggiari, sans haine ni armes ni violence, et ceci malgré la présence embarrassante de deux employés de la Rabobank !
L’exploit est réel mais son analyse, sujette à discussion, a scindé notre club en deux groupes de réflexion. D’un côté, ceux qui affirment que le néo-Quick Step est en mesure de conserver son avance et de gagner ce Paris-Nice ; de l’autre, moi.
Comme ce débat fut animé ! Les mots d’oiseaux volaient et on me traita même de fasciste lorsque j’accusais Colom et Sanchez de ne pas y aller assez franco.
Mais un peu de géopolitique, voulez-vous ? Que dit l’expert ? Il avance que Chavanel, aussi valeureux soit-il, a perdu Paris-Nice au mois de septembre, quand Lance Armstrong, annonçant son retour, a contraint Contador à ne laisser planer aucun doute quant à son leadership.
Aussi peut-on voir s’esquisser un début de solution à l’énigme qui prive le peloton de sommeil depuis bientôt six mois, quant à celui du jeune ou du vieux qui s'habillera en jaune sur les Champs-Elysées. Le jeune Albert, plus fort d'année en année et quasi irrésistible, gagnera toutes les épreuves à étapes auxquelles il prendra part d’ici juin. En juillet, Lance, dans le top ten mais trop court pour jouer la gagne, se sacrifiera en lui ouvrant la montée du Ventoux au cours d’un numéro d’anthologie, heure de gloire du vidéaste occasionnel pour peu qu’il sache s’écarter à temps.
La vérité ayant été formulée et mon sandwich au fromage de brebis terminé, tandis que mes compagnons dorment et que le soleil se lève à peine, je quitte la ferme et pars ventouser ma place au sommet de la Montagne de Lure.
Pour mériter de respirer enfin l’air alcoolisé et bleu qui constitue leur véritable came, les coureurs devront d’abord déguster, sans trop recracher, les 7% de la pente bordée de mélèzes, puis d’empilements de pierres, puis de rien du tout, sinon, par chance, quelques vautours fauves assis autour du cadavre d’un lézard.
La délivrance ne sera plus très loin, croira-t-on.
Mais gare !
Samedi, Bourigaille et Côte de Mons.
Dimanche, final au Col d’Èze puis redescente en kakous sur Nice et sa promenade, sous l’indifférence de femmes enraybannées par les premiers beaux jours et les aboiements réflexes de chihuahuas en pull.
Pascal d’Huez
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