SUR LA ROUTE DU TOUR DE CALIFORNIE / 6
23.2.09
Voilà ce 4ème Tour de Californie bouclé sur le triomphe de Levi Leipheimer.
On ajoutera à son bilan trois faits d'inégale importance : la naissance remarquée de l'équipier Lance Armstrong; le poids toujours plus lourd de la botte Astana sur la face du cyclisme; et concernant votre fidèle rapporteur, le charme de quelques écchymoses supplémentaires.
M’étant à moitié ruiné pour entreprendre ce voyage vers le nouveau-monde, sous prétexte que l’AMGEN Tour Of California 2009 semblait préfigurer le cyclisme du XXIème siècle, définitivement désaxé de son foyer historique européen, j’avoue ce soir payer cher ma déraison. Pour m’être souvent humilié à suivre cette épreuve dans l'espoir qu’elle révèle un peu de cet éclat de pépite au fond du crible, comme on en trouve quelquefois par chez moi, dans les Alpes de juillet, je sais désormais que le frisson cycliste est difficile à reproduire en laboratoire.
Un peu comme la vie sur Terre, peut-être, la grâce du Tour de France est un miracle de la nature, combinaison d’une multitude d’aspects dont il suffirait qu’un seul vienne à manquer pour faire s’effondrer l’ensemble. Trop éloigné du soleil, trop humide, trop mou du volcan, les paramètres ne manquent pas, qui imposent à cette sympathique virée américaine de demeurer pour le moment un tour nain.
C’est en tous cas ce que j’expliquais, dans un pessimisme très français, à une bande de jeunes femmes jusque-là très gaies, grandes filles des gros bonnets de l’organisation, sur les bords d’une piscine des alentours de Melrose Avenue, où j'étais convié à la sauterie d'après-course, en tant qu'unique rescapé de l'accident du Minivan.
Savez-vous comment elles avaient trouvé, les folles, le moyen de fêter la victoire de Leipheimer avec l’assentiment de leurs papas ? Le plus naturellement du monde. En empruntant dans leur pharmacie quelques boîtes d’antidépresseurs, afin de se livrer à une pills party ! Et les voilà, dans leurs maillots de bain Astana, qui se mettent à danser, se lançant mutuellement dans la bouche quelques Xanax afin de se sentir toute love.
« Try ? » me demande Pat, le gros bonnet du ToC, en me tendant une gélule bleue. « J’aime autant ça, m’explique-t-il, j’ai avec mes enfants un rapport décomplexé au désir. Elles ont droit à 10 mg de molécules par semaine. Avec ça, je suis tranquille. Pas de dépendance. Vers une heure, je leur donne un comprimé pour qu’elles aillent se coucher. Demain, elles seront fraîches comme des cocas sortis du freezer ! »
Tandis que la télé rediffuse la victoire de l’aîné des Frères Schleck sur un Nibali en progrès, j’hésite à prendre la gélule de Pat. « Allons ! insiste-t-il, il n’y a pas que le pinard* dans la vie ! ». Dans l’enthousiasme général, il parle d’étendre à la fois la durée de ma vie et la taille de mon pénis, de développer mon potentiel. « J’ai vu ton blog, c’est pas mal, assure-t-il, mais je suis sûr qu’il existe un médicament qui te permettrait de booster ton nombre de visites ».
Vivre jeune à jamais, être Lance Armstrong sur commande, ne plus craindre la maladie, marcher sur l’eau… Si ces merveilles, un jour, deviennent possibles, elles compliqueront les affaires humaines comme jamais auparavant et nécessiteront de revoir notre système moral, d’inventer des religions peut-être. Quoi qu’il en soit, elles viendront de Californie.
Va pour la bleue.
Quelques minutes plus tard, sur l’eau, dans un fauteuil gonflable à l’effigie de Greg Lemond que secouent en riant des fillettes stones, je laisse mon corps fondre dans une détente bien méritée et mon cerveau se laisser envahir de visions en tous genres.
Du Mont Palomar escaladé par les coureurs plus tôt dans la journée, parmi une foule en délire de coureurs infatigables, me reviennent les figures baroques, carnaval sans queue ni tête, à faire se tordre de trouille les 21 lacets de l’Alpe-d’Huez. Surgissent pêle-mêle à ma mémoire cotonneuse, des perruques à tout va, le plus souvent arborées torses poil, des musclés en slip, un footballeur américain au casque à cornes de cerf, une demi-douzaine de Borat, deux allégories de la Mort portant la faux, deux sumotori enfin, bien prêts de provoquer un cas inédit d’hilarité générale, à même de forcer les coureurs à poser pied à terre. Qui sont donc ces extravagants m’as-tu vu ?
Personne. Sinon l’Amérique dans ce qu’elle a de meilleur, toute peur bue et la fantaisie pour bannière.
Adieu fier peuple d’Obama ! Le peloton, qui n’a guère d’intérêt pour la grande histoire, est déjà dans l’avion. Rendez-vous samedi à Gand, où pour commencer, nous tenterons de savoir par quelle sombre manœuvre, Het Volk s’appelle désormais Het Nieuwsblad.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
*En français.
On ajoutera à son bilan trois faits d'inégale importance : la naissance remarquée de l'équipier Lance Armstrong; le poids toujours plus lourd de la botte Astana sur la face du cyclisme; et concernant votre fidèle rapporteur, le charme de quelques écchymoses supplémentaires.
M’étant à moitié ruiné pour entreprendre ce voyage vers le nouveau-monde, sous prétexte que l’AMGEN Tour Of California 2009 semblait préfigurer le cyclisme du XXIème siècle, définitivement désaxé de son foyer historique européen, j’avoue ce soir payer cher ma déraison. Pour m’être souvent humilié à suivre cette épreuve dans l'espoir qu’elle révèle un peu de cet éclat de pépite au fond du crible, comme on en trouve quelquefois par chez moi, dans les Alpes de juillet, je sais désormais que le frisson cycliste est difficile à reproduire en laboratoire.
Un peu comme la vie sur Terre, peut-être, la grâce du Tour de France est un miracle de la nature, combinaison d’une multitude d’aspects dont il suffirait qu’un seul vienne à manquer pour faire s’effondrer l’ensemble. Trop éloigné du soleil, trop humide, trop mou du volcan, les paramètres ne manquent pas, qui imposent à cette sympathique virée américaine de demeurer pour le moment un tour nain.
C’est en tous cas ce que j’expliquais, dans un pessimisme très français, à une bande de jeunes femmes jusque-là très gaies, grandes filles des gros bonnets de l’organisation, sur les bords d’une piscine des alentours de Melrose Avenue, où j'étais convié à la sauterie d'après-course, en tant qu'unique rescapé de l'accident du Minivan.
Savez-vous comment elles avaient trouvé, les folles, le moyen de fêter la victoire de Leipheimer avec l’assentiment de leurs papas ? Le plus naturellement du monde. En empruntant dans leur pharmacie quelques boîtes d’antidépresseurs, afin de se livrer à une pills party ! Et les voilà, dans leurs maillots de bain Astana, qui se mettent à danser, se lançant mutuellement dans la bouche quelques Xanax afin de se sentir toute love.
« Try ? » me demande Pat, le gros bonnet du ToC, en me tendant une gélule bleue. « J’aime autant ça, m’explique-t-il, j’ai avec mes enfants un rapport décomplexé au désir. Elles ont droit à 10 mg de molécules par semaine. Avec ça, je suis tranquille. Pas de dépendance. Vers une heure, je leur donne un comprimé pour qu’elles aillent se coucher. Demain, elles seront fraîches comme des cocas sortis du freezer ! »
Tandis que la télé rediffuse la victoire de l’aîné des Frères Schleck sur un Nibali en progrès, j’hésite à prendre la gélule de Pat. « Allons ! insiste-t-il, il n’y a pas que le pinard* dans la vie ! ». Dans l’enthousiasme général, il parle d’étendre à la fois la durée de ma vie et la taille de mon pénis, de développer mon potentiel. « J’ai vu ton blog, c’est pas mal, assure-t-il, mais je suis sûr qu’il existe un médicament qui te permettrait de booster ton nombre de visites ».
Vivre jeune à jamais, être Lance Armstrong sur commande, ne plus craindre la maladie, marcher sur l’eau… Si ces merveilles, un jour, deviennent possibles, elles compliqueront les affaires humaines comme jamais auparavant et nécessiteront de revoir notre système moral, d’inventer des religions peut-être. Quoi qu’il en soit, elles viendront de Californie.
Va pour la bleue.
Quelques minutes plus tard, sur l’eau, dans un fauteuil gonflable à l’effigie de Greg Lemond que secouent en riant des fillettes stones, je laisse mon corps fondre dans une détente bien méritée et mon cerveau se laisser envahir de visions en tous genres.
Du Mont Palomar escaladé par les coureurs plus tôt dans la journée, parmi une foule en délire de coureurs infatigables, me reviennent les figures baroques, carnaval sans queue ni tête, à faire se tordre de trouille les 21 lacets de l’Alpe-d’Huez. Surgissent pêle-mêle à ma mémoire cotonneuse, des perruques à tout va, le plus souvent arborées torses poil, des musclés en slip, un footballeur américain au casque à cornes de cerf, une demi-douzaine de Borat, deux allégories de la Mort portant la faux, deux sumotori enfin, bien prêts de provoquer un cas inédit d’hilarité générale, à même de forcer les coureurs à poser pied à terre. Qui sont donc ces extravagants m’as-tu vu ?
Personne. Sinon l’Amérique dans ce qu’elle a de meilleur, toute peur bue et la fantaisie pour bannière.
Adieu fier peuple d’Obama ! Le peloton, qui n’a guère d’intérêt pour la grande histoire, est déjà dans l’avion. Rendez-vous samedi à Gand, où pour commencer, nous tenterons de savoir par quelle sombre manœuvre, Het Volk s’appelle désormais Het Nieuwsblad.
Pascal d’Huez, envoyé spécial.
*En français.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home