L’omoplate de PASCAL SIMON
15.8.04
Une route accablée de chaleur dans un pays en proie aux orages, quelques semaines après la victoire de Noah à Roland-Garros.
Je viens alors d’avoir mon permis de conduire…
Cependant, dans l’attente de me payer une voiture, je vais en bus voir passer les coureurs. Je prends avec moi de l’eau, et du Gini, dont on fait la pub.
Des Néerlandais écarlates sont installés en bordure de chemin, venus soutenir leur champion, le grimpeur Peter Winnen.
Faut-il, cet été-là, déjà parler de la succession d’Hinault, forfait, qui n’a alors que 28 ans ?
Pour Joop, c’est le tour de trop, m’affirme une jeune beauté de Rotterdam, en mettant à sécher des sous-vêtements sur la corde tendue à sa caravane. Alors qui ?
As-tu entendu parler de Pascal Jules, et des frères Madiot ? Sais-tu que, de tout le pays, des jeunes hommes, vifs et courageux, rêvent de détrôner le Blaireau ? Et Pascal Poisson ?
Et Laurent Fignon ? Et Pascal Simon ?
« Vous avez raison, Lislott ! »
Et sur ce, j’accepte son invitation à suivre l’étape sur le poste Philips Noir et Blanc à antenne circulaire, qui fait un peu de lumière bleue dans le contre-jour de son intérieur aux rideaux orangés.
« D’où tenez-vous ça ? »
« Je suis mannequin », répond-elle, tandis qu’elle enfile un T-shirt Lubberding. « Entre deux prises de vue, je m’ennuie, alors je bouquine Sprint, ou Miroir du Cyclisme ».
Au moment où survient la chute de Pascal Simon, des gamins éclatent des bombes à eau contre la cloison.
La chute de Pascal Simon, maillot jaune du tour 83, n’a pas été saisie par les caméras. Elles sont arrivées après. On se souvient d’un grand héron, osseux et blême, casquette à l’envers, qui sort du fossé, chiffon, et repart dans le chagrin de la bêtise commise.
Cet épisode malheureux, trop éloigné de l’arrivée à Paris pour figurer parmi les grands drames du Tour, participent plutôt des péripéties funestes, bévues dont on a fini par sourire, par défaut de poids historique.
Déconnade dans le peloton, chahut et vols de bidons, vous êtes cons les mecs, hé, poussez pas mémé, mises en boites et charriades ; adieu potaches mal peignés, grands dadais des villages, imitateurs spontanés de Bourvil ! Ceux qui avaient plus fait la bicyclette que l’amour, ont aujourd’hui déserté le Pro Tour, et l’omoplate de Pascal Simon a cicatrisé.
« C’est pareil dans le monde du mannequinat », m’écrit l’autre jour, par e-mail, Lislott, avec qui je suis resté toutes ces années en contact, bien qu’elle soit devenue quadragénaire. « Les filles de quatorze ans ont appris à être super-pro…Elles sont élevées dans l’idée du sans-faute…Ce sont des tigresses…Elles sont sans pitié, au point que mon ex-mari, qui est avocat, a renoncé à les défendre. »
Ah, Pascal Simon !… j’en parlais l’autre jour à la chanteuse Beyoncé, à l’occasion d’un plateau, et je lui disais, Fignonnesque, que sans la chute à l’omoplate brisée, il aurait eu bien du mal à résister à la montée du jeune Parisien à lunettes, bachelier, qu’on surnommait bêtement « l’Intello »,
et qui mit un point d’honneur à remporter le dernier contre-la-montre, à la veille du retour à Paris.
Pour en avoir le cœur net, j’appelle l’autre jour chez les Simon, dont je trouve par hasard le numéro dans l’annuaire. Je tombe sur François, à qui je demande de me passer Jérôme. Les ayant félicités à pleins tubes, sans toutefois me rappeller qui, au juste, a fait quoi, je m’enquiers de la santé de Pascal, qui n’est pas là, et dont, sans méchanceté, je demande des nouvelles de l’omoplate.
« Y’a pas d’omoplate ! Y’en a jamais eu ! » entends-je alors, avant qu’on me raccroche au nez .
On ne perd pas un tour sur chute sans en ressentir longtemps les séquelles, et j’ai été bien naïf de le croire. Qu’on reparte à l’entraînement, avec une équipe nouvelle et pressée d’en découdre, la chance ne se représente pas de sitôt, et les cauchemars reviennent, quand bien même on reculerait l’échéance, en tentant de poursuivre sa carrière jusqu’à ne plus en pouvoir. Alors, tandis qu’on a beau assurer à Stade 2, que la retraite se passe bien, on passe ses nuits à éviter d’infinies lignes blanches, des teckels sournois soudain défaits de leur laisse, et l’on fuit, dans son dos, un directeur sportif sans visage au volant d’une voiture suiveuse lancée à toute allure.
Par l’intermédiaire de Lislott, j’obtiens finalement un rendez-vous avec Pascal Simon, au dernier étage du Philips Building d’Eindhovein. « C’est pas dans la tête, avoue-t-il simplement, ça, ce n’est rien ».
Et il me raconte, qu’à l’approche des premières étapes de montagne, chaque année, des douleurs à l’omoplate le réveillent, et l’obligent à rester couché, jusqu’à la sortie des Alpes, ou des Pyrénées, suivant le sens.
En 2000, fourbu, sur les conseils d’amis, il s’en va consulter un spécialiste du sport, à Philadelphie. Or, là-bas, dans la salle d’attente du Collidge Hospital, il a la surprise de rencontrer Laurent Fignon, lequel souffre de problèmes similaires à la fesse.■
Je viens alors d’avoir mon permis de conduire…
Cependant, dans l’attente de me payer une voiture, je vais en bus voir passer les coureurs. Je prends avec moi de l’eau, et du Gini, dont on fait la pub.
Des Néerlandais écarlates sont installés en bordure de chemin, venus soutenir leur champion, le grimpeur Peter Winnen.
Faut-il, cet été-là, déjà parler de la succession d’Hinault, forfait, qui n’a alors que 28 ans ?
Pour Joop, c’est le tour de trop, m’affirme une jeune beauté de Rotterdam, en mettant à sécher des sous-vêtements sur la corde tendue à sa caravane. Alors qui ?
As-tu entendu parler de Pascal Jules, et des frères Madiot ? Sais-tu que, de tout le pays, des jeunes hommes, vifs et courageux, rêvent de détrôner le Blaireau ? Et Pascal Poisson ?
Et Laurent Fignon ? Et Pascal Simon ?
« Vous avez raison, Lislott ! »
Et sur ce, j’accepte son invitation à suivre l’étape sur le poste Philips Noir et Blanc à antenne circulaire, qui fait un peu de lumière bleue dans le contre-jour de son intérieur aux rideaux orangés.
« D’où tenez-vous ça ? »
« Je suis mannequin », répond-elle, tandis qu’elle enfile un T-shirt Lubberding. « Entre deux prises de vue, je m’ennuie, alors je bouquine Sprint, ou Miroir du Cyclisme ».
Au moment où survient la chute de Pascal Simon, des gamins éclatent des bombes à eau contre la cloison.
La chute de Pascal Simon, maillot jaune du tour 83, n’a pas été saisie par les caméras. Elles sont arrivées après. On se souvient d’un grand héron, osseux et blême, casquette à l’envers, qui sort du fossé, chiffon, et repart dans le chagrin de la bêtise commise.
Cet épisode malheureux, trop éloigné de l’arrivée à Paris pour figurer parmi les grands drames du Tour, participent plutôt des péripéties funestes, bévues dont on a fini par sourire, par défaut de poids historique.
Déconnade dans le peloton, chahut et vols de bidons, vous êtes cons les mecs, hé, poussez pas mémé, mises en boites et charriades ; adieu potaches mal peignés, grands dadais des villages, imitateurs spontanés de Bourvil ! Ceux qui avaient plus fait la bicyclette que l’amour, ont aujourd’hui déserté le Pro Tour, et l’omoplate de Pascal Simon a cicatrisé.
« C’est pareil dans le monde du mannequinat », m’écrit l’autre jour, par e-mail, Lislott, avec qui je suis resté toutes ces années en contact, bien qu’elle soit devenue quadragénaire. « Les filles de quatorze ans ont appris à être super-pro…Elles sont élevées dans l’idée du sans-faute…Ce sont des tigresses…Elles sont sans pitié, au point que mon ex-mari, qui est avocat, a renoncé à les défendre. »
Ah, Pascal Simon !… j’en parlais l’autre jour à la chanteuse Beyoncé, à l’occasion d’un plateau, et je lui disais, Fignonnesque, que sans la chute à l’omoplate brisée, il aurait eu bien du mal à résister à la montée du jeune Parisien à lunettes, bachelier, qu’on surnommait bêtement « l’Intello »,
et qui mit un point d’honneur à remporter le dernier contre-la-montre, à la veille du retour à Paris.
Pour en avoir le cœur net, j’appelle l’autre jour chez les Simon, dont je trouve par hasard le numéro dans l’annuaire. Je tombe sur François, à qui je demande de me passer Jérôme. Les ayant félicités à pleins tubes, sans toutefois me rappeller qui, au juste, a fait quoi, je m’enquiers de la santé de Pascal, qui n’est pas là, et dont, sans méchanceté, je demande des nouvelles de l’omoplate.
« Y’a pas d’omoplate ! Y’en a jamais eu ! » entends-je alors, avant qu’on me raccroche au nez .
On ne perd pas un tour sur chute sans en ressentir longtemps les séquelles, et j’ai été bien naïf de le croire. Qu’on reparte à l’entraînement, avec une équipe nouvelle et pressée d’en découdre, la chance ne se représente pas de sitôt, et les cauchemars reviennent, quand bien même on reculerait l’échéance, en tentant de poursuivre sa carrière jusqu’à ne plus en pouvoir. Alors, tandis qu’on a beau assurer à Stade 2, que la retraite se passe bien, on passe ses nuits à éviter d’infinies lignes blanches, des teckels sournois soudain défaits de leur laisse, et l’on fuit, dans son dos, un directeur sportif sans visage au volant d’une voiture suiveuse lancée à toute allure.
Par l’intermédiaire de Lislott, j’obtiens finalement un rendez-vous avec Pascal Simon, au dernier étage du Philips Building d’Eindhovein. « C’est pas dans la tête, avoue-t-il simplement, ça, ce n’est rien ».
Et il me raconte, qu’à l’approche des premières étapes de montagne, chaque année, des douleurs à l’omoplate le réveillent, et l’obligent à rester couché, jusqu’à la sortie des Alpes, ou des Pyrénées, suivant le sens.
En 2000, fourbu, sur les conseils d’amis, il s’en va consulter un spécialiste du sport, à Philadelphie. Or, là-bas, dans la salle d’attente du Collidge Hospital, il a la surprise de rencontrer Laurent Fignon, lequel souffre de problèmes similaires à la fesse.■
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