DES BONNES PATTES
10.7.12
Entre Arc-Senans et Besançon, par un long couloir de verdure, c'était, pour les plus habiles dans l'art du contre-la-montre, une épreuve de descente en skeleton. Pour les autres, grimpeurs frêles, sprinteurs grognons ou néophytes dans le dur : un déménagement poussif en traineau. Où l'on est soi-même le renne.
Parti à l'heure du goûter, ponctuel, discipliné, Bradley Wiggins, combinaison intégrale canari citron, chaussettes hautes, déroule sans stress à travers la population doubiste, infiltrée par endroits de drapeaux britanniques.
Il le reconnaitra un peu plus tard, à la télévision, dans un français impeccable d'ingénuité : «Aujourd'hui, j'avais des bonnes pattes ».
Doux euphémisme, à moins qu'il n'ait voulu parler de ses rouflaquettes.
Quel numéro ! Quelque soit l'état du bitume, son dossard 101 reste constamment lisible. Il faut absolument trouver le temps de faire l'essai avant l'arrivée à Paris, mais je vous fiche mon billet que Wiggins pourrait livrer une tournée de pintes posées sur son dos, sans faire la moindre mousse.
Colonne vertébrale parallèle au tube supérieur du cadre, le Sky collabore avec l'espace et le temps comme s'il faisait depuis toujours partie de la maison. Sans donner dans le lyrisme échevelé, disons simplement que le système qui l'anime semble intimement lié au mécanisme qui préside aux astres comme aux atomes. Boson, proton, Briton.
Depuis les bords du Doubs, Caramelle et moi avons vu passer le bolide, et elle vous le dira sans mentir : son passage laissa longtemps le paysage frappé de stupeur.
Le maillot jaune à peine apparu, il disparaît dans le virage. Groggys, les adultes se tournent alors les uns vers les autres, et avançant leurs mains comme s'ils se découvraient pour la première fois, s'étreignent et se jurent amitié. Les enfants turbulents se taisent et pactisent avec le lapin grippé qu'ils étaient occupés à martyriser. Le loup des Vosges emmène sur son dos la brebis.
Forcément, après dix kilomètres de ce régime, le premier pointage annonce Brad trente secondes plus rapide que son rival, Cadel Evans, pourtant pas un manche.
Amazing Brad ! Tout en petit plateau ovale, moulinant sans être jamais assailli par le doute, insensible aux vicissitudes. Un liquidateur ! Terriblement professionnel, et pourtant sympathique, car sans morgue, sans hargne, sans grimaces. Ce qu'on a vu qui ressemblait le mieux au grand Jacques « garez-vous, la caravelle arrive » Anquetil.
De retour sur le podium, avant une séance de décrassage sur home-trainer, il donne l'impression d'un grand blasé à qui serrer la main moite de Bernard Hinault ne fait ni chaud ni froid. Bradley est déterminé. Sa mission ne prendra fin qu'à la vue du dôme des Invalides.
L'addition est salée. Dans les bus, on compare ses relevés de comptes. Menchov, Klöden sont à plus de deux minutes. Van Den Broecke en prend 3. Valverde 4. Schleck 4'30''. Débours difficiles à rembourser avant août.
Ses adversaires se font du mourron, car on ne voit pas trop comment faire couler une bielle au motorcycle Wiggins. En se battant mutuellement les côtes pour se donner du courage, on se presse autour du bulletin météosat dans le but d'y dénicher un anticyclone, car la canicule est un truc qui a toujours marché contre les rouquins (Sean Kelly 83), quelquefois même démesurément (Tom Simpson 67). Mais non, l'été s'annonce pourri. On annonce même du brouillard dans les Alpes !
Alors par quel bout ? Comment espérer, sinon une défaillance du champion, du moins un rééquilibrage des forces en présence ? On conjure le sort en invoquant l'inévitable bad day. Wiggins est là depuis le début de la saison. Il a gagné Paris-Nice, le Romandie, le Dauphiné... Ne sera-t-il pas sujet à un petit coup de barre dans les Pyrénées ?
Premiers craquements ? Lui d'ordinaire si poli, si mesuré, avait pris la mouche la veille, tandis qu'un journaliste lui demandait de réagir aux nombreux twitts comparant sa Sky à l'infréquentable Postale de Lance Armstrong : "Pour moi, ce sont juste des petits branleurs. Je ne peux pas supporter ces gens-là. Ça justifie leur propre fainéantise viscérale parce qu'ils ne sont pas foutus d'envisager s'appliquer pour faire quelque chose de leur vie. C'est facile de s'abriter derrière un pseudo sous Twitter et d'écrire ce genre de merde plutôt que de se lever le cul dans sa propre vie, plutôt que de s'activer et de travailler dur pour réussir. C'est tout ce qu'il y a à dire. Connards."
C'était une parenthèse.
Le temps que Cadel et Vincenzo se précipitent aux carreaux de la salle de presse, le flegmatique avait repris sa casquette pieds de poule, sa pipe, et lisait le Guardian auprès du feu.
Aujourd'hui, repos.
En attendant d'observer, mercredi, et plus encore jeudi (Croix de Fer, Madeleine, Toussuire) comment l'Anglais réagit à la raréfaction de l'oxygène, Wiggins ne semble plus avoir comme seul rival que son partenaire Chris Froome, un coéquipier loyal, second à Besançon, pour trente-cinq secondes.
Pascal d'Huez, sur la route du Tour de France.
Parti à l'heure du goûter, ponctuel, discipliné, Bradley Wiggins, combinaison intégrale canari citron, chaussettes hautes, déroule sans stress à travers la population doubiste, infiltrée par endroits de drapeaux britanniques.
Il le reconnaitra un peu plus tard, à la télévision, dans un français impeccable d'ingénuité : «Aujourd'hui, j'avais des bonnes pattes ».
Doux euphémisme, à moins qu'il n'ait voulu parler de ses rouflaquettes.
Quel numéro ! Quelque soit l'état du bitume, son dossard 101 reste constamment lisible. Il faut absolument trouver le temps de faire l'essai avant l'arrivée à Paris, mais je vous fiche mon billet que Wiggins pourrait livrer une tournée de pintes posées sur son dos, sans faire la moindre mousse.
Colonne vertébrale parallèle au tube supérieur du cadre, le Sky collabore avec l'espace et le temps comme s'il faisait depuis toujours partie de la maison. Sans donner dans le lyrisme échevelé, disons simplement que le système qui l'anime semble intimement lié au mécanisme qui préside aux astres comme aux atomes. Boson, proton, Briton.
Depuis les bords du Doubs, Caramelle et moi avons vu passer le bolide, et elle vous le dira sans mentir : son passage laissa longtemps le paysage frappé de stupeur.
Le maillot jaune à peine apparu, il disparaît dans le virage. Groggys, les adultes se tournent alors les uns vers les autres, et avançant leurs mains comme s'ils se découvraient pour la première fois, s'étreignent et se jurent amitié. Les enfants turbulents se taisent et pactisent avec le lapin grippé qu'ils étaient occupés à martyriser. Le loup des Vosges emmène sur son dos la brebis.
Forcément, après dix kilomètres de ce régime, le premier pointage annonce Brad trente secondes plus rapide que son rival, Cadel Evans, pourtant pas un manche.
Amazing Brad ! Tout en petit plateau ovale, moulinant sans être jamais assailli par le doute, insensible aux vicissitudes. Un liquidateur ! Terriblement professionnel, et pourtant sympathique, car sans morgue, sans hargne, sans grimaces. Ce qu'on a vu qui ressemblait le mieux au grand Jacques « garez-vous, la caravelle arrive » Anquetil.
De retour sur le podium, avant une séance de décrassage sur home-trainer, il donne l'impression d'un grand blasé à qui serrer la main moite de Bernard Hinault ne fait ni chaud ni froid. Bradley est déterminé. Sa mission ne prendra fin qu'à la vue du dôme des Invalides.
L'addition est salée. Dans les bus, on compare ses relevés de comptes. Menchov, Klöden sont à plus de deux minutes. Van Den Broecke en prend 3. Valverde 4. Schleck 4'30''. Débours difficiles à rembourser avant août.
Ses adversaires se font du mourron, car on ne voit pas trop comment faire couler une bielle au motorcycle Wiggins. En se battant mutuellement les côtes pour se donner du courage, on se presse autour du bulletin météosat dans le but d'y dénicher un anticyclone, car la canicule est un truc qui a toujours marché contre les rouquins (Sean Kelly 83), quelquefois même démesurément (Tom Simpson 67). Mais non, l'été s'annonce pourri. On annonce même du brouillard dans les Alpes !
Alors par quel bout ? Comment espérer, sinon une défaillance du champion, du moins un rééquilibrage des forces en présence ? On conjure le sort en invoquant l'inévitable bad day. Wiggins est là depuis le début de la saison. Il a gagné Paris-Nice, le Romandie, le Dauphiné... Ne sera-t-il pas sujet à un petit coup de barre dans les Pyrénées ?
Premiers craquements ? Lui d'ordinaire si poli, si mesuré, avait pris la mouche la veille, tandis qu'un journaliste lui demandait de réagir aux nombreux twitts comparant sa Sky à l'infréquentable Postale de Lance Armstrong : "Pour moi, ce sont juste des petits branleurs. Je ne peux pas supporter ces gens-là. Ça justifie leur propre fainéantise viscérale parce qu'ils ne sont pas foutus d'envisager s'appliquer pour faire quelque chose de leur vie. C'est facile de s'abriter derrière un pseudo sous Twitter et d'écrire ce genre de merde plutôt que de se lever le cul dans sa propre vie, plutôt que de s'activer et de travailler dur pour réussir. C'est tout ce qu'il y a à dire. Connards."
C'était une parenthèse.
Le temps que Cadel et Vincenzo se précipitent aux carreaux de la salle de presse, le flegmatique avait repris sa casquette pieds de poule, sa pipe, et lisait le Guardian auprès du feu.
Aujourd'hui, repos.
En attendant d'observer, mercredi, et plus encore jeudi (Croix de Fer, Madeleine, Toussuire) comment l'Anglais réagit à la raréfaction de l'oxygène, Wiggins ne semble plus avoir comme seul rival que son partenaire Chris Froome, un coéquipier loyal, second à Besançon, pour trente-cinq secondes.
Pascal d'Huez, sur la route du Tour de France.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home