QUINTES À LA TOUSSUIRE
13.7.12
Pour compliquer un peu plus la vie des concurrents en allant les titiller sur le terrain psychologique, leurs noms évoquent l'infection, les bronches en compote : Glandon, Mollard, Toussuire...
Avoir les jambes dures et ne plus pouvoir avancer est une chose, mais coincer dans le Mollard est un supplice que je ne souhaite à personne.
Dans la descente du Mollard, justement, conduit malfamé, glissant entre un ravin truffé de vipères et un parapet en béton, Pierre Rolland dérape sur son patronyme trop fraîchement peint par un supporter, mais se relève promptement, et constatant qu'il n'est pas blessé, et que son engin est en parfait ordre de marche, revient sur ses compagnons d'échappée dans la vallée de la Maurienne.
L'incident calme les ardeurs de Nibali qui, plutôt qu'attaquer le maillot jaune dans la descente, comme il l'avait fait la veille, préfère attendre les premières rampes vers la Toussuire.
Dix-huit kilomètres d'une grimpette solide, où les offensives, relativement nombreuses de Van den Broeck, puis Nibali, pétaradants, finissent par être ravalées. La Sky, Bradley Wiggins et ses indéfrisables porteurs de bouclier, Froome, Porte et Rogers, avance avec la constance implacable de la jauge d'une barre de téléchargement.
Tandis qu'à l'avant, Rolland confirme son ascension à grandes enjambées, Froome et Wiggins, enfin seuls, colorés tantôt d'ombre bleu, tantôt d'or solaire, suivant les virages intérieurs/extérieurs, downloadent patiemment la pente et réussissent à rassembler les fugitifs.
C'est alors que se produit l'impensable, la déflagration, l'attaque des twin towers.
Froome démarre, et distance Wiggins, jusqu'à ce qu'une alerte dans l'oreillette lui demande de lever le pied.
Le traître dans le vestiaire, le ver dans le fruit, le caillou dans la chaussure, le grain de sable dans le pédalier, la mite dans le cuissard... Le concours de métaphores est lancé depuis hier soir, dix-huit heures, pour tenter de qualifier la bizarre attitude de l'équipier Froome sous la flamme rouge.
Au moment de répondre aux interviews d'après course, l'interrogeant sur le démarrage brutal qui a cloué sur place son leader, Froome garde le sourire en coin, les prémices d'un fou-rire contenu qu'il s'arrange à laisser entrevoir. L'oeil pétille de la fourberie assumée de celui qui prétend n'avoir fait que poser une question, commis un lapsus.
Ma garde-malade, Caramelle, (dont je n'ai à me plaindre ni du dévouement ni de la loyauté), pipant peu à la chose cycliste, s'étonne que l'initiative audacieuse de l'équipier Froome passe pour un scandale. "Franchement, s'étonne-t-elle, qu'y a-t-il ici de déloyal ? Où est l'indignité ?"
Certainement pas sur le plan moral. On pourrait même saluer la soudaine émancipation du sans-grade, sa révolte. Sa volonté de rompre avec sa condition d'underdog.
Sportivement, pourtant, aussi excitante ait été la sortie de Froomey, l'épisode de la Toussuire pourrait s'avérer une erreur stratégique. Brad, qui marche à la confiance de ses partenaires, risque de soudain s'inhiber. Le doute va s'insinuer en lui, la peur du désamour. En franchissant la ligne, son premier thanks allait à l'adversaire Nibali, c'est dire.
Plus grave, d'avoir été si brutalement mis à poil par son coéquiper, permet désormais d'imaginer un Wiggins lâché, trop court, moins fort qu'il n'y paraît. L'image n'existait pas, maintenant elle s'affiche en poster dans tous les hôtels du parcours. Sur ce plan panoramique du maillot jaune esseulé peuvent s'échafauder tous les espoirs, toutes les machinations.
Dans le camp adverse, (c'est-à-dire, essentiellement Nibali, qui semble le dernier adversaire encore en vie du team Sky, Van den Broeck à la rigueur), on se reprend à espérer. "C'est bon, ils s'engueulent", pourraient s'encourager les deux guérilleros en posant l'oreille contre la carosserie mal insonorisée du Pullman ciel et noir.
Pour le reste, Pierre Rolland et Thibaut Pinot font amérement regretter que ce Tour 2012 soit le dernier avant la fin du monde, car leur talent rendait envisageable une victoire française au général.
Malheureux et aphone, Cadel Evans, après avoir tenté une attaque à mi-parcours, a perdu contact avec le groupe maillot jaune dans les derniers kilomètres. "Tejay saved my life", peut toutefois affirmer l'australochampion, qui n'a du son sauvetage qu'au canot lancé à son attention par le jeune Van Garderen.
Là aussi, un glissement de leadership pourrait s'opérer dans les Pyrénées. Un passage de témoin. Telle est la condition cycliste. Violente et juste. On vient courir le Tour en tant que vainqueur sortant, pour le gagner à nouveau, et l'on apprend en chemin qu'il ne veut plus vous voir, car vous lui paraissez soudain trop vieux.
Autre trahi du jour, l'ami Denis Menchov, lequel a réussi une première mondiale : réaliser toute l'étape sous une combinaison invisible, aimablement prêtée par le laboratoire du CERN.
Aujourd'hui, profil amusant, à la Pierrick Fedrigo.
Pascal d'Huez, sur la route du Tour de France.